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distinguait même les paroles : elles étaient simples, tendres, anciennes, et exprimaient un sentiment naïf, calme, pur et clair. Mais il les oubliait et n’entendait que les sons. À travers les paroles naïves de la chanson, il entendait d’autres paroles, dans lesquelles bouillonnait toute l’aspiration de son propre cœur, et qui répondaient à sa passion. Tantôt c’était le dernier gémissement du cœur meurtri par l’amour, tantôt la joie de la liberté, la joie de l’esprit qui a brisé ses chaînes et s’envole clair et libre dans l’océan infini de l’amour. Tantôt il entendait les premiers serments de l’amante avec ses prières, ses larmes, son chuchotement mystérieux et timide ; tantôt le désir d’une bacchante fière et joyeuse de sa force, sans voiles, sans mystère, s’ébattant sous ses yeux grisés…

Ordynov, sans attendre la fin de la chanson, se leva du lit. La chanson s’arrêta aussitôt.

– Bonjour, mon aimé, prononçait la voix de Catherine. Lève-toi, viens chez nous, éveille-toi pour la joie claire. Nous t’attendons, moi et mon maître ; nous sommes des braves gens… Nous sommes soumis à ta volonté… Éteins la haine par l’amour… Dis une douce parole !

Ordynov sortit de sa chambre à son premier appel et se rendit presque inconsciemment chez ses logeurs. La porte s’ouvrit devant lui et,