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l’officier, il avait eu l’idée de regarder à gauche, il aurait aperçu, à vingt pas de lui, Aglaé qui, sourde aux appels de sa mère et de ses sœurs, s’était arrêtée pour contempler la scène scandaleuse. Le prince Chtch… courut à elle et la décida enfin à quitter la place. Quand la jeune fille revint auprès des siens, Élisabeth Prokofievna, en voyant son agitation, présuma qu’elle n’avait pas même entendu qu’on criait après elle. Mais deux minutes plus tard, au moment où on entrait dans le parc, Aglaé dit du ton indifférent et capricieux qui lui était habituel :

— Je voulais voir comment finirait la comédie.

III

L’événement du Waux-Hall causa une sorte de terreur aux dames Épantchine. Inquiète, effarée, Élisabeth Prokofievna ramena ses filles chez elle, pour ainsi dire, au pas de course. À ses yeux, ce qui venait de se passer était excessivement significatif ; aussi, nonobstant son émoi, des idées très-arrêtées avaient déjà pris naissance dans sa tête. D’ailleurs, les demoiselles comprenaient, comme leur mère, qu’il était arrivé quelque chose de particulier, et que, fort heureusement peut-être, quelque secret extraordinaire commençait à se dévoiler. En dépit des assurances et explications précédemment données par le prince Chtch…, à présent Eugène Pavlovitch était « dûment atteint et convaincu de relations intimes avec cette créature ». Ainsi pensaient non-seulement Élisabeth Prokofievna, mais encore ses deux filles aînées. Cette conclusion n’éclaircissait rien, au contraire. Quoique Alexandra et Adélaïde en voulussent un peu à leur mère d’un départ si précipité qu’il ressemblait positivement à une fuite, toutefois, dans le désarroi du premier moment, elles s’abstinrent de lui adresser des questions. D’autre part, il leur sem-