thise à un affront sanglant, mais je ne puis permettre qu’on lutte à coups de poing avec une femme sous les yeux du public. Si, comme il sied à un noble personnage, vous voulez procéder d’une autre manière, eh bien, naturellement vous devez me comprendre, capitaine…
Mais le capitaine avait déjà repris possession de lui-même et n’écoutait plus Keller. En ce moment Rogojine sortit de la foule, saisit vivement le bras de Nastasia Philippovna et s’éloigna avec elle. Parfène Séménitch semblait fort ému ; il était pâle et tremblait. Toutefois, en emmenant Nastasia Philippovna, il rit méchamment au nez de l’officier et murmura avec la mine d’un marchand qui jubile :
— Tiou ! Qu’est-ce qu’il a attrapé ! Il a la trogne en sang ! Tiou !
L’officier s’était couvert le visage avec un mouchoir. Ayant recouvré son sang-froid et devinant fort bien à qui il avait affaire, il s’adressa poliment au prince qui venait de quitter son siège.
— Le prince Muichkine, dont j’ai eu le plaisir de faire la connaissance ?
— Elle est folle ! aliénée ! je vous l’assure ! répondit le prince d’une voix agitée, et, par un geste machinal sans doute, il tendit à l’officier ses mains tremblantes.
— Assurément je ne puis me vanter de telles connaissances ; mais j’ai besoin de savoir votre nom.
Il salua d’un signe de tête et s’éloigna. La police se montra juste cinq secondes après que les derniers acteurs de la scène précédente eurent disparu. Du reste, cet esclandre ne dura pas plus de deux minutes. Quelques-uns des assistants se levèrent et sortirent, d’autres se bornèrent à changer de place ; il y eut même une partie du public à qui l’incident fit plaisir ; du moins il fournit à plusieurs la matière de conversations vives et animées. En un mot, tout se termina comme à l’ordinaire. L’orchestre recommença à jouer. Le prince se mit en devoir de rejoindre la famille Épantchine. Si, lorsqu’il s’était assis sur une chaise après avoir été repoussé par