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de reproches et de malédictions quand il lui proposait le mariage. « Cela prouve qu’elle ne craint plus, comme alors, de faire mon malheur en m’épousant », pensait le prince. Un revirement si brusque ne lui paraissait pas naturel. Nastasia Philippovna avait-elle puisé uniquement dans sa haine pour Aglaé cette soudaine confiance en elle-même ? Le supposer eût été faire injure à la profondeur de ses sentiments. Avait-elle pris cette résolution par peur du sort qui l’attendait avec Rogojine ? En résumé, toutes ces causes et bien d’autres pouvaient avoir joué un rôle ici, mais l’hypothèse à laquelle Muichkine s’arrêta, comme à la plus vraisemblable, fut celle que depuis longtemps déjà il soupçonnait : la pauvre âme malade était à bout de forces. À la rigueur, c’était une explication, elle ne pouvait, il est vrai, procurer aucun apaisement au prince. Parfois il semblait faire tous ses efforts pour ne penser à rien, on aurait dit qu’il considérait son mariage comme une formalité sans importance et le bonheur de sa vie comme une chose dont il n’y avait pas lieu de s’occuper. Quant aux conversations dans le genre de celle qu’il avait eue avec Eugène Pavlovitch, il les évitait autant que possible, se sentant tout à fait incapable de répondre à certaines objections.

Du reste, il remarqua que Nastasia Philippovna savait et comprenait trop bien ce qu’Aglaé signifiait pour lui. Elle se taisait là-dessus, mais plusieurs fois elle le surprit au moment où il se disposait à aller chez les Épantchine, et il lut ses sentiments sur son « visage ». Quand elle apprit le départ de cette famille, la jeune femme devint rayonnante. Quelque peu observateur et peu clairvoyant que fût alors le prince, il commençait à se demander avec inquiétude si Nastasia Philippovna ne ferait pas un scandale pour obliger Aglaé à quitter Pavlovsk. Sans doute, elle-même se plaisait à faire parler de son mariage dans toute la localité, exprès pour vexer sa rivale. Il était difficile de rencontrer les dames Épantchine, mais un jour que Nastasia Philippovna se promenait en voiture avec le prince, elle s’arrangea de façon