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m’épouserais, quoi qu’il advînt de moi, et que tu ne me quitterais jamais ; que tu m’aimais, que tu me pardonnais tout et que tu m’es… que tu m’esti… Oui, tu as dit cela aussi ! Je ne me suis enfuie de chez toi que pour te rendre ta liberté, mais maintenant je ne veux plus ! Pourquoi m’a-t-elle traitée comme une coureuse ? Demande à Rogojine si je suis une coureuse, il te le dira ! Maintenant qu’elle m’a traînée dans la boue, et sous tes yeux encore, tu te détourneras de moi et tu t’en iras avec elle bras dessous bras dessous ? Sois donc maudit après cela, car tu es le seul homme en qui j’aie cru. Va-t’en, Rogojine, je n’ai pas besoin de toi ! cria-t-elle presque affolée.

Les paroles s’échappaient avec effort de sa poitrine, son visage était décomposé, ses lèvres brûlantes ; évidemment il n’y avait pas la moindre conviction dans sa fanfaronnade, mais elle désirait se tromper elle-même et prolonger encore d’une seconde un instant d’illusion. L’accès était si violent qu’il aurait pu entraîner la mort, telle fut, du moins, l’impression du prince.

— Le voici, regarde ! finit-elle par crier à Aglaé, en lui montrant du geste Muichkine : — s’il ne vient pas tout de suite à moi, s’il ne me prend pas de préférence à toi, eh bien, prends-le, je te le cède, je n’ai pas besoin de lui !…

Elle et Aglaé attendirent, fixant toutes deux sur le prince un regard insensé. Il est probable, il est même presque sûr qu’il ne comprit pas toute la force de cet appel. Il ne vit devant lui que la folle, la désespérée créature dont il lui était resté pour toujours une impression navrante, comme il l’avait dit une fois à Aglaé. Le prince n’y put tenir.

— Est-ce que c’est possible ! dit-il à la jeune fille d’un ton de prière et de reproche en lui montrant Nastasia Philippovna. — Elle est… si malheureuse !

Il n’eut pas plutôt proféré ces mots qu’il devint muet sous le regard terrible d’Aglaé, dont les yeux offraient l’expression d’une souffrance poignante en même temps que