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matias ; cela a été écrit littéralement en état de délire. Et je ne comprends pas à quel point il faut être, — je ne dirai pas cruel (ce serait m’humilier moi-même), mais puérilement vain et rancunier pour me reprocher cette confession et s’en servir comme d’une arme contre moi ! Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas de vous que je parle…

— Mais je regrette que vous désavouiez ce manuscrit, Hippolyte, il est sincère ; sans doute, il s’y trouve pas mal de côtés ridicules (la physionomie du malade se refrogna sensiblement), mais les plus ridicules mêmes sont rachetés par la souffrance, car ces aveux ont été aussi pour vous une souffrance et… peut-être un grand acte de virilité. Vous avez certainement obéi à une inspiration noble dans son principe, quoi qu’on ait pu en penser ce soir-là. Plus j’y songe, plus j’en suis convaincu, je vous le jure. Je ne vous juge pas, je tenais seulement à vous dire mon opinion et je regrette de m’être tu alors…

Hippolyte rougit. Un instant il se demanda si le prince ne cherchait pas à l’enjôler par des compliments hypocrites, mais, en considérant avec attention le visage de son interlocuteur, il reconnut que celui-ci avait parlé en toute sincérité ; sa figure se rasséréna.

— Et voilà, pourtant, il faut mourir ! observa-t-il (« quand on est ce que je suis ! » avait-il envie d’ajouter). — Et imaginez-vous comme votre Ganetchka me tanne ; il s’est avisé de me faire remarquer, par manière d’objection, que peut-être parmi ceux qui ont entendu l’autre jour la lecture de mon manuscrit, trois ou quatre mourront avant moi ! Comment trouvez-vous cela ? Il pense que c’est pour moi une consolation, ha, ha ! D’abord, ils ne sont pas encore morts ; mais quand même ces gens me précéderaient, en effet, dans la tombe, à quoi cela m’avancera-t-il, je vous le demande ? Il me juge d’après lui ; du reste, il est allé plus loin encore, à présent il m’adresse de véritables injures, il dit qu’en pareil cas un homme comme il faut meurt silencieusement, et que, dans tout cela, il n’y a eu de ma part que de l’égoïsme !