journal, — je me suis aperçue que vous êtes fort ignorant. Si l’on vous demande en quelle année a eu lieu tel événement, ce qu’a fait tel personnage, de quel livre est tirée telle pensée, vous restez bouche béante, ou peu s’en faut. C’est pitoyable.
— Je vous ai dit que je n’ai guère d’instruction, répondit le prince.
— S’il en est ainsi, qu’avez-vous donc ? Comment donc puis-je vous estimer, après cela ? Continuez ; mais non, c’est inutile, cessez de lire.
Et le soir de ce même jour se produisit un petit incident qui parut fort louche à tous les Épantchine. Le prince Chtch… revint de Pétersbourg. Aglaé fut très-aimable avec lui et s’informa longuement d’Eugène Pavlovitch. (Le prince Léon Nikolaïévitch n’était pas encore arrivé.) Tout à coup le prince Chtch… se permit de laisser entendre qu’il y aurait « prochainement du nouveau dans la famille », et fit allusion à une parole qu’Élisabeth Prokofievna avait prononcée par mégarde : « Il faudra peut-être retarder encore le mariage d’Adélaïde, pour que les deux noces soient célébrées en même temps. » Aglaé ne se connut plus en entendant émettre « toutes ces stupides suppositions » ; dans sa colère, elle en vint à dire entre autres choses qu’ « elle n’avait pas encore l’intention de remplacer la maîtresse de personne ».
Ces mots frappèrent tout le monde, mais surtout le père et la mère. Dans une conférence secrète avec son mari, Élisabeth Prokofievna insista pour qu’on mit le prince en demeure de s’expliquer catégoriquement au sujet de Nastasia Philippovna.
Ivan Fédorovitch jura qu’il n’y avait là qu’une « boutade » provenant de la « pudeur » d’Aglaé, et que, si le prince Chtch… n’avait pas parlé mariage, elle n’aurait pas fait cette sortie, car elle-même savait très-bien que tout cela était une calomnie de méchantes gens, pas autre chose, et que Nastasia Philippovna allait épouser Rogojine ; qu’enfin le prince n’avait pas les relations qu’on lui prêtait, et que