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— Je refuse, je refuse ! vociféra-t-elle avec un geste de violente répugnance.

— Souffrez, maman, que je dise aussi mon mot ; dans cette affaire, me semble-t-il, je puis bien avoir voix au chapitre : l’instant présent est capital dans mon existence (telles furent les expressions mêmes d’Aglaé), et je tiens à m’édifier personnellement ; du reste, je suis bien aise que tout le monde soit témoin… Permettez-moi donc de vous adresser une question, prince : si vous « nourrissez de telles intentions », avec quoi comptez-vous assurer mon bonheur ?

— Je ne sais, en vérité, comment vous répondre, Aglaé Ivanovna ; ici… ici que répondre ? Et puis… est-ce nécessaire ?

— Vous êtes troublé, paraît-il, vous respirez difficilement ; reposez-vous un peu et reprenez vos esprits ; buvez un verre d’eau ; du reste, on va vous donner du thé.

— Je vous aime, Aglaé Ivanovna, je vous aime beaucoup ; je n’aime que vous, et… ne plaisantez pas, je vous prie, je vous aime beaucoup.

— Mais pourtant c’est une affaire grave, nous ne sommes pas des enfants, et il faut considérer la chose au point de vue positif… Veuillez me dire maintenant en quoi consiste votre fortune.

— Eh bien, eh bien, eh bien, Aglaé ! À quoi penses-tu ? Ce n’est pas ainsi, ce n’est pas ainsi… marmotta le général épouvanté.

— C’est une honte ! grommela Élisabeth Prokofievna assez haut pour être entendue.

— Elle est folle ! murmura Alexandra.

— Ma fortune… vous voulez dire, mon argent ? demanda le prince étonné.

— Précisément.

— J’ai… j’ai à présent cent trente-cinq mille roubles, balbutia-t-il, tandis que son visage se couvrait de rougeur.

Aglaé n’essaya pas de cacher le désappointement que lui causait cette réponse.