Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nier moment notre héros se trouvait être trop raisonnable pour s’y résoudre. Cela le tuait. Au besoin, en vue de quelque avantage ardemment souhaité, il se fût peut-être décidé à une chose extrêmement basse, mais, comme par un fait exprès, dès qu’il fallait passer de la résolution à l’action, Gabriel Ardalionovitch se trouvait toujours être trop honnête pour commettre une grosse bassesse (une petite, du reste, n’éveillait jamais en lui aucune susceptibilité de conscience). La pauvreté dans laquelle sa famille était tombée l’humiliait et l’irritait. Il traitait même sa mère avec mépris, tout en comprenant très-bien cependant que s’il avait une bonne carte dans son jeu, si quelque chose pouvait l’aider à faire son chemin, c’était surtout la haute réputation d’honorabilité dont jouissait Nina Alexandrovna. Dès son entrée chez Épantchine il s’était dit : « Puisqu’il faut être plat, soyons-le jusqu’au bout, pourvu que cela nous rapporte », et — presque jamais il ne poussait la platitude jusqu’au bout. Pourquoi, d’ailleurs, s’était-il imaginé qu’il lui faudrait nécessairement être plat ? La façon dont Aglaé reçut alors ses avances l’effraya sans pourtant le rebuter : à tout hasard, il continua à avoir des vues sur la jeune fille, quoique jamais il ne crût sérieusement qu’elle descendrait jusqu’à lui. Plus tard, à l’époque de son histoire avec Nastasia Philippovna, il se figura soudain que le moyen d’arriver à tout était l’argent. « Va pour une bassesse », se répétait-il chaque jour avec une assurance présomptueuse à laquelle se mêlait une certaine crainte ; « puisqu’il faut être bas, soyons-le carrément », ne cessait-il de se dire pour s’encourager ; « en pareil cas la routine hésite, mais nous autres nous ne sommes pas timides. » Ses échecs successifs auprès d’Aglaé et de Nastasia Philippovna le démoralisèrent complètement, et, comme le lecteur le sait, il remit au prince l’argent à lui donné par une folle qui elle-même l’avait reçu d’un fou. Ce sacrifice accompli, le jeune homme en éprouva autant de regret que d’orgueil. Pendant les trois jours que le prince resta alors à Pétersbourg, Gabriel Ardalionovitch