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se faisait cette réflexion, il s’aperçut qu’il était tout près de leur maison ; il savait d’avance qu’il finirait nécessairement par se rendre là, et, le cœur défaillant, il monta sur la terrasse. Personne ne s’y trouvait. Il attendit un moment, puis ouvrit la porte de la salle. « Ils ne fermaient jamais cette porte », se dit-il, mais la salle était vide aussi et plongée dans une obscurité presque complète. Debout au milieu de la chambre, le prince ne savait à quoi se résoudre. Tout à coup une porte s’ouvrit, entra Alexandra Ivanovna qui tenait une bougie à la main. En apercevant le visiteur, la jeune fille étonnée s’arrêta devant lui et l’interrogea des yeux. Évidemment elle ne faisait que traverser cette pièce pour se rendre dans une autre, et elle ne s’attendait pas du tout à trouver là quelqu’un.

— Par quel hasard êtes-vous ici ? demanda-t-elle enfin.

— Je… je suis entré en passant…

— Maman est souffrante, Aglaé aussi. Adélaïde est allée se coucher et je vais en faire autant. Nous avons passé toute la soirée seules à la maison. Papa et le prince sont à Pétersbourg.

— Je suis venu… je suis venu chez vous… maintenant…

— Vous savez quelle heure il est ?

— N-non…

— Il est minuit et demi. Nous sommes toujours couchées à cette heure-ci.

— Ah ! je pensais que… qu’il était neuf heures et demie. Alexandra se mit à rire.

— Cela ne fait rien ! mais pourquoi n’êtes-vous pas venu tantôt ? On vous a peut-être attendu.

— Je… je pensais… balbutia-t-il en s’en allant.

— Au revoir ! Tout le monde va bien rire demain quand je raconterai cela.

Il retourna chez lui en suivant le chemin qui longeait le parc. Son cœur battait violemment, ses idées se troublaient, tout prenait autour de lui l’aspect d’un songe. Et soudain s’offrit de nouveau à ses yeux la vision qui à deux reprises