« Pourtant je remarque (écrivait dans une autre lettre Nastasia Philippovna) que je vous unis à lui et que pas une seule fois je n’ai encore demandé si vous l’aimez. Il est devenu amoureux de vous à première vue. Il pensait à vous comme à une « lumière » ; ce sont ses propres expressions, je les ai recueillies de sa bouche. Mais je n’avais pas besoin de ses paroles pour comprendre que vous étiez sa lumière. J’ai vécu tout un mois près de lui et j’ai compris alors que vous l’aimiez aussi ; vous et lui ne faites qu’un pour moi ».
« Qu’est-ce que c’est ? (écrivait-elle encore) hier j’ai passé à côté de vous et il m’a semblé que vous rougissiez ? C’est impossible, je me serai figuré cela. Si l’on vous amenait dans le bouge le plus infâme et qu’on vous y montrât le vice à nu, alors même vous ne devriez pas rougir ; vous êtes au-dessus de toute insulte. Vous pouvez haïr les hommes bas et lâches, mais seulement à cause de l’offense qu’ils font aux autres, car, pour vous, aucune offense ne peut vous atteindre. Vous savez, je trouve même que vous devez m’aimer. Ce que vous êtes pour lui, vous l’êtes aussi pour moi : un esprit de lumière ; un ange ne peut pas haïr et même il ne peut pas ne pas aimer. Peut-on aimer tout le monde, tous les hommes, tout son prochain ? je me suis souvent posé cette question. Sans doute, on ne le peut pas et même ce n’est pas dans la nature. L’amour abstrait de l’humanité est presque toujours de l’égoïsme. Mais ce qui nous est impossible ne l’est pas à vous : comment pourriez-vous ne pas aimer n’importe qui, quand vous ne pouvez vous comparer à personne, quand vous planez dans une région inaccessible à toute offense, à toute indignation personnelle ? Seule vous pouvez aimer sans égoïsme ; seule vous pouvez, en aimant, vous désintéresser de vous-même et ne songer qu’à celui que vous aimez. Oh, combien il me serait cruel d’apprendre que vous êtes honteuse et irritée de recevoir mes lettres ! Ce serait votre déchéance : du coup vous vous placeriez sur la même ligne que moi…
« Hier, après vous avoir rencontrée, je suis revenue chez