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Elle prononça ces derniers mots à voix basse, le regard de nouveau fixé à terre.

— Oh ! si vous pouviez tout savoir !

— Je sais tout ! cria-t-elle avec une véhémence subite : — vous avez vécu alors tout un mois aux côtés de cette vilaine femme avec qui vous vous êtes sauvé…

En parlant ainsi, Aglaé n’était pas rouge, mais livide ; tout à coup elle se leva par un mouvement qui semblait machinal ; presque aussitôt après, reprenant conscience d’elle-même, elle se rassit ; toutefois, longtemps encore sa lèvre continua à trembler. Il y eut une minute de silence. L’emportement soudain de la jeune fille avait saisi le prince qui ne savait à quoi l’attribuer.

— Je ne vous aime pas du tout, déclara-t-elle à brûle-pourpoint.

Muichkine ne répondit pas ; de nouveau tous deux se turent pendant une minute.

— J’aime Gabriel Ardalionovitch… dit-elle précipitamment, mais d’une voix presque inintelligible ; en même temps sa tête s’inclinait plus que jamais vers la terre.

— Ce n’est pas vrai, répliqua le prince en baissant aussi la voix.

— Alors je mens ? C’est la vérité ; je lui ai donné ma parole, avant-hier, sur ce même banc.

Cette nouvelle effraya le prince ; durant un instant il resta pensif.

— Ce n’est pas vrai, répéta-t-il résolument, — vous avez inventé tout cela.

— Voilà qui est on ne peut plus poli ! Sachez qu’il s’est réformé ; il m’aime plus que sa vie. Il s’est brûlé la main sous mes yeux, à seule fin de me prouver qu’il m’aime plus que sa vie.

— Il s’est brûlé la main ?

— Oui, la main. Croyez-le ou ne le croyez pas, cela m’est égal.

Avant de répondre, le prince réfléchit une minute. Aglaé ne plaisantait pas ; elle était fâchée.