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— Je sais qu’il ne se tuera pas, général, très-estimé général, mais pourtant… je suis le maître de la maison.

— Écoutez, monsieur Térentieff, fit soudain Ptitzine qui, après avoir dit adieu au prince, tendit la main à Hippolyte, — dans votre manuscrit il est question, je crois, de votre squelette ; vous le léguez à l’Académie ? C’est de votre propre squelette qu’il s’agit, c’est-à-dire que vous léguez vos os ?

— Oui, mes os…

— C’est qu’on peut se tromper ; il paraît qu’un cas de ce genre s’est déjà produit.

— Pourquoi le taquinez-vous ? gronda vivement le prince.

— On l’a fait pleurer, ajouta Ferdychtchenko.

Mais Hippolyte ne pleurait pas du tout. Il fit un mouvement pour quitter sa place, les quatre qui l’entouraient l’empoignèrent aussitôt. On se mit à rire.

— Il comptait bien qu’on le mettrait dans l’impossibilité de bouger, c’est pour cela qu’il a lu son manuscrit, observa Rogojine. — Adieu, prince. Voilà trop longtemps que je pose ici, j’en ai une courbature.

— Si en effet vous aviez l’intention de vous tuer, Térentieff, dit en riant Eugène Pavlovitch, — à votre place, après de pareils compliments, je ne me tuerais pas, exprès pour les vexer.

— Ils ont une envie terrible de voir comment je me brûlerai la cervelle ! répliqua avec amertume Hippolyte.

— Ils sont fâchés de ne pas le voir.

— Ainsi vous pensez qu’ils ne le verront pas ?

— Ce que j’en dis n’est pas pour vous exciter ; au contraire, je crois qu’il est fort possible que vous vous brûliez la cervelle. Surtout, ne vous fâchez pas… répondit Eugène Pavlovitch en traînant la voix d’un ton protecteur.

— Maintenant seulement je vois que j’ai fait une grande faute en leur lisant ce manuscrit, reprit Hippolyte ; en même temps ses yeux se portaient sur son interlocuteur avec une subite expression de confiance, comme s’il eût demandé conseil à un ami.