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— Oui, vous vous occupez trop de vous, fit d’une voix sifflante Lébédeff.

— Messieurs, encore une fois, je ne m’impose à l’attention de personne ; ceux qui ne veulent pas m’entendre sont libres de s’en aller.

— Il met les gens à la porte d’une maison qui n’est pas la sienne, bougonna sotto voce Rogojine.

— Mais comment nous lever tous et partir ? observa brusquement Ferdychtchenko qui jusqu’alors ne s’était pas permis d’élever la voix.

Hippolyte baissa soudain les yeux et saisit son manuscrit, mais dans la même seconde il releva la tête, ses yeux étincelèrent et les deux taches rouges s’accentuèrent sur ses joues.

— Vous ne m’aimez pas du tout ! dit-il en regardant fixement Ferdychtchenko.

Des rires se firent entendre ; du reste, la plupart ne riaient pas. Le jeune homme devint tout rouge.

— Hippolyte, dit le prince, — ne lisez plus et remettez-moi votre manuscrit. Vous coucherez ici dans ma chambre. Nous causerons avant de nous endormir et encore demain, mais qu’il soit bien entendu qu’à l’avenir vous laisserez de côté cet article. Voulez-vous ?

— Est-ce que c’est possible ? répondit Hippolyte d’un air profondément étonné. — Messieurs, cria-t-il avec une animation fébrile : — c’est un sot épisode dans lequel je n’ai pas su me conduire. Je n’interromprai plus ma lecture. Que ceux qui veulent écouter écoutent…

Il but à la hâte une gorgée d’eau, s’accouda au plus vite contre la table pour se dérober aux regards, et, en dépit de tout, se remit à lire. Du reste, sa confusion disparut bientôt…

« L’idée que ce n’est pas la peine de vivre quelques semaines (poursuivit-il) a commencé, si je ne me trompe, à envahir mon esprit il y a un mois, quand il me restait encore quatre semaines à vivre, mais elle n’a pris complète-