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demi-minute. — Mais, du reste, qu’est-ce que cela ? Est-il possible que je vienne de jouer mon sort à croix ou pile ? reprit-il soudain avec un frisson ; en même temps il regardait ceux qui l’entouraient et ses yeux avaient toujours leur singulière expression de franchise. — Mais c’est une particularité psychologique étonnante ! cria-t-il tout à coup en s’adressant au prince d’un ton qui témoignait une surprise profonde : — C’est… c’est quelque chose d’inconcevable, prince ! poursuivit-il avec animation et comme un homme qui reprend conscience de lui-même : — notez cela, prince, souvenez-vous-en, vous recueillez, paraît-il, des documents au sujet de la peine de mort… On me l’a dit, ha ! ha ! Oh, Dieu, quelle absurdité ! — Il s’assit sur le divan, s’accouda contre la table et mit sa tête dans ses mains. — C’est même une honte !… Mais que m’importe que ce soit honteux ? ajouta-t-il presque aussitôt en relevant la tête ; puis, avec une résolution subite : — Messieurs, messieurs, je vais rompre le cachet, déclara-t-il, — je… du reste, je ne force personne à écouter !…

L’émotion faisait trembler ses mains lorsqu’il décacheta le paquet ; il en tira quelques feuilles de papier à lettre de petit format qui étaient toutes couvertes d’une fine écriture ; après les avoir placées devant lui, il commença à les mettre en ordre.

— Mais qu’est-ce que c’est ? Mais qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qu’on va lire ? murmuraient plusieurs d’un air sombre ; les autres se taisaient. Tous pourtant s’étaient assis et regardaient avec curiosité. Peut-être attendaient-ils réellement quelque chose d’extraordinaire. Viéra, immobile derrière la chaise de son père, pleurait presque de frayeur. Kolia n’était guère moins alarmé que la jeune fille. Soudain, Lébédeff qui avait déjà repris sa place se leva à demi, saisit les flambeaux et les rapprocha d’Hippolyte, afin que celui-ci y vit plus clair pour lire.

— Messieurs, c’est… vous allez voir ce que c’est, dit le jeune homme, et il commença brusquement sa lecture :