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V

Hippolyte qui, vers la fin de la dissertation de Lébédeff, s’était endormi sur le divan, venait maintenant de se réveiller soudain, comme si quelqu’un lui avait donné un coup dans la poitrine ; il frissonna, se mit sur son séant, regarda autour de lui et pâlit ; ses yeux se promenèrent sur l’assistance avec une certaine expression d’inquiétude, mais ce fut presque de la terreur qui se manifesta sur son visage lorsque la mémoire et la réflexion lui revinrent.

— Quoi ? ils s’en vont ? C’est fini ? Tout est fini ? Le soleil est levé ? demanda-t-il anxieusement, et il saisit le prince par le bras : — quelle heure est-il ? Pour l’amour de Dieu, quelle heure ? J’ai trop dormi. Ai-je dormi longtemps ? ajouta-t-il avec une sorte de désespoir, comme si le sommeil lui avait fait manquer une affaire d’où dépendit toute sa destinée.

— Vous avez dormi sept ou huit minutes, répondit Eugène Pavlovitch.

Hippolyte le regarda avidement et, pendant quelques secondes, recueillit ses idées.

— Ah… seulement ! Alors je…

Et il respira longuement comme un homme soulagé d’un fardeau très-pénible. Il avait enfin compris que rien, « n’était fini », qu’il ne faisait pas encore jour, que les visiteurs ne s’étaient pas levés pour s’en aller, mais à cause du repas, et que, si quelque chose avait pris fin, c’était seulement le bavardage de Lébédeff. Il sourit et les taches rouges, signe caractéristique de la phthisie, commencèrent à se montrer sur ses pommettes.

— Et vous avez même compté les minutes pendant lesquelles j’ai dormi, Eugène Pavlitch, dit-il d’un ton moqueur, — depuis le commencement de la soirée vous ne