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de leur logique. Et, sans doute, vous êtes aussi de cet avis.

— Racontez-nous l’exécution dont vous avez été témoin, fit brusquement Adélaïde.

Cette demande parut causer un certain embarras au prince, son visage se renfrogna.

— À présent je n’en aurais guère envie, répondit-il.

— On dirait que vous ne vous sentez pas la force de nous faire ce récit, remarqua Aglaé d’un ton moqueur.

— Non, c’est parce que j’ai déjà raconté tantôt cette même exécution.

— À qui l’avez-vous racontée ?

— À votre valet de chambre, pendant que j’attendais…

— À quel valet de chambre ? fit-on en chœur.

— Eh bien, mais à cet homme aux cheveux blancs et au visage rouge qui se tient dans l’antichambre ; je suis resté là jusqu’au moment où j’ai été reçu par Ivan Fédorovitch,

— C’est étrange, observa la générale.

— Le prince est un démocrate, dit malignement Aglaé, — voyons, du moment que vous avez fait ce récit à Alexis, vous ne pouvez pas nous le refuser.

— Je veux absolument l’entendre, insista Adélaïde.

— Tout à l’heure, reprit avec animation le prince en s’adressant à la jeune fille, — quand vous m’avez demandé un sujet de tableau, l’idée m’est venue de vous en proposer un : représenter le visage d’un condamné à mort dans la minute qui précède la chute du couperet, au moment où le malheureux va être bouclé sur la bascule.

— Comment ! le visage ? rien que le visage ? demanda Adélaïde ; — ce sera un singulier sujet, et quel tableau y a-t-il donc là ?

— Je ne sais pas ; pourquoi donc ? répliqua vivement le prince. — J’ai vu dernièrement à Bâle un tableau comme cela. Je voudrais bien vous le décrire… Je vous en parlerai un jour… il m’a beaucoup frappé.

— Plus tard, certainement, il faudra que vous me parliez du tableau de Bâle, — dit Adélaïde, — mais, à présent, expli-