n’était resté que deux semaines, — Nastasia Philippovna apprit par la renommée que Totzky allait se marier à Pétersbourg : il épousait, disait-on, une jeune fille riche, belle et des mieux apparentées. Comme l’événement le prouva, la voix publique exagérait un peu, car le mariage dont on parlait comme d’une chose à peu près faite n’était encore qu’à l’état de projet vague. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle amena une révolution radicale dans l’existence de Nastasia Philippovna. La jeune fille montra soudain une audace inaccoutumée et révéla le caractère le plus inattendu. Sans hésiter, elle quitta brusquement sa petite maison de bois, partit toute seule pour Pétersbourg et vint tomber comme une bombe dans la demeure d’Afanase Ivanovitch. Stupéfié, celui-ci voulut d’abord élever la voix, mais, dès les premiers mots, force lui fut de baisser le ton : son langage d’autrefois n’était plus de mise, sa logique naguère si persuasive ne produisait plus aucun effet. Devant lui était assise une femme toute différente de celle qu’il avait connue jusqu’alors et qu’au mois de juillet précédent il avait laissée dans le village d’Otradnoié.
En premier lieu, cette femme nouvelle se trouvait savoir et comprendre extraordinairement de choses. Comment son intelligence s’était-elle ainsi développée ? Où avait-elle puisé des données si exactes sur tant d’objets ? Était-il possible que ce fût dans sa bibliothèque de jeune fille ? Fait plus surprenant encore, elle raisonnait sur nombre de points comme un homme de loi et elle avait une connaissance positive sinon du monde, au moins de la façon dont certaines choses s’y passent. En second lieu, son caractère avait subi une transformation complète. Ce n’était plus du tout la fillette d’autrefois, avec ses alternances de timidité et de pétulance, avec ses adorables naïvetés de petite pensionnaire, avec ses tristesses, ses rêveries, ses étonnements, ses larmes, ses inquiétudes…
Non ; Totzky avait maintenant en face de lui une créature étrange qui le narguait, le criblait des sarcasmes les plus acerbes, lui déclarait carrément n’avoir jamais eu pour lui