autre fois. Mais toi, Gania, regarde un peu ces comptes…
Ivan Fédorovitch sortit et le visiteur ne put aborder le sujet dont, à trois reprises déjà, il avait essayé de l’entretenir. Gania alluma une cigarette et en offrit une au prince ; celui-ci l’accepta, puis, n’osant parler de peur de déranger le secrétaire, il se mit à examiner le cabinet. Mais Gania donna à peine un coup d’œil à la feuille de papier couverte de chiffres sur laquelle le général avait appelé son attention. Il était distrait ; son sourire, son regard, sa mine soucieuse frappèrent encore plus Muichkine quand les deux jeunes gens se trouvèrent seul à seul. Tout à coup il s’approcha du prince, qui, en ce moment, contemplait encore le portrait de Nastasia Philippovna.
— Ainsi, cette femme vous plaît, prince ? lui demanda-t-il à brûle-pourpoint en le perçant d’un regard sondeur.
Une arrière-pensée étrange semblait se cacher sous cette question.
— Son visage est étonnant, répondit le prince, — et elle n’a pas eu, j’en suis sûr, une destinée ordinaire. Le visage est gai, et elle a terriblement souffert, n’est-ce pas ? Les yeux le disent, voyez ces deux petits os, ces deux points sous les yeux, à la naissance des joues. Ce visage est fier, hautain, et je me demande si elle est bonne. Ah ! si elle était bonne, tout serait sauvé !
— Épouseriez-vous une pareille femme ? poursuivit Gania, dont le regard enflammé ne quittait pas le prince.
— Je n’en puis épouser aucune, je suis malade, répliqua ce dernier.
— Et Rogojine, est-ce qu’il l’épouserait ? Qu’en pensez-vous ?
— Oui, je crois qu’il l’épouserait, et pas plus tard que demain, mais huit jours après il l’assassinerait.
En entendant cette réponse, Gania fut pris d’un tel frisson que le prince eut peine à retenir un cri.
— Qu’avez-vous ? dit-il en le saisissant par le bras.
— Altesse, vint annoncer un domestique, — le général