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faire mon dernier désir ?… Savez-vous, depuis longtemps déjà je rêvais de faire votre connaissance, Élisabeth Prokofievna ; j’avais beaucoup entendu parler de vous… par Kolia ; presque seul il reste constamment auprès de moi… Vous êtes une femme originale, une femme excentrique, je viens de le voir moi-même… savez-vous que je vous ai même aimée un peu ?

— Seigneur, et j’ai été, vraiment, sur le point de le frapper !

— Vous en avez été empêchée par Aglaé Ivanovna ; voyons, je ne me trompe pas ? C’est bien là votre fille Aglaé Ivanovna ? Elle est si belle que tantôt, en entrant ici, je l’ai reconnue tout de suite, quoique je ne l’eusse jamais vue auparavant. Laissez-moi, du moins, contempler la beauté une dernière fois dans ma vie, dit Hippolyte en grimaçant un sourire, — vous êtes ici avec le prince, avec votre mari, avec toute une société. Pourquoi me refusez-vous la satisfaction d’un dernier désir ?

— Une chaise ! cria Élisabeth Prokofievna, mais elle-même en prit une et s’assit en face d’Hippolyte. — Kolia, ordonna-t-elle, — tu t’en iras avec lui, tu le reconduiras, et demain je ne manquerai pas moi-même…

— Si vous le permettiez, je demanderais au prince une petite tasse de thé… Je n’en puis plus. Savez-vous ce qu’il faut faire, Élisabeth Prokofievna ? vous vouliez, je crois, emmener le prince prendre le thé chez vous : restez ici, passons la soirée ensemble, et certainement le prince nous offrira du thé à tous. Pardonnez-moi d’en user avec ce sans façon… Mais je vous connais, vous êtes bonne, le prince est bon aussi… nous sommes tous de très-bonnes gens, c’en est même comique…

Le prince se mit en mouvement ; Lébédeff sortit en toute hâte, suivi de Varia.

— Et c’est vrai, répondit d’un ton tranchant la générale, — parle, mais sans trop élever la voix et sans t’exalter. Tu as excité ma pitié… Prince ! Tu ne mériterais pas que je