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— Mais, prince, il faut vous rendre justice, vous savez tirer parti de votre… disons maladie, pour nous servir d’un mot poli ; vous vous êtes pris d’une façon si adroite pour offrir votre amitié et votre argent, que maintenant il n’est plus possible à un homme noble de les accepter. C’est ou trop d’ingénuité ou trop de malice… du reste, vous savez mieux que personne lequel de ces deux termes est applicable ici.

— Permettez, messieurs, cria Gabriel Ardalionovitch, qui venait de vérifier le contenu de l’enveloppe, — il n’y a ici que cent roubles, et non deux cent cinquante. Je fais remarquer cela, prince, pour qu’il n’y ait pas de malentendu.

— Laissez, laissez, dit le prince en invitant du geste Gabriel Ardalionovitch à se taire.

— Non, ne « laissez » pas ! répliqua vivement le neveu de Lébédeff. — Votre « laissez », prince, est outrageant pour nous. Nous ne nous cachons pas, nous appelons le grand jour sur nos actes. Oui, il n’y a là que cent roubles au lieu de deux cent cinquante ; mais est-ce que ce n’est pas la même chose ?…

— N-non, ce n’est pas la même chose, observa d’un air de surprise naïve Gabriel Ardalionovitch.

— Ne m’interrompez pas ; nous ne sommes pas aussi bêtes que vous le croyez, monsieur l’avocat, s’écria avec emportement le neveu de Lébédeff, — il est clair qu’il y a une différence entre cent roubles et deux cent cinquante ; mais l’important ici c’est le principe, c’est l’initiative, et, s’il manque cent cinquante roubles, ce n’est qu’un détail. Le fait à considérer, c’est que Bourdovsky n’accepte pas votre aumône, Altesse, et vous la jette au visage ; or, à ce point de vue-là ; peu importe qu’il y ait cent roubles ou deux cent cinquante. Bourdovsky a refusé dix mille roubles : vous l’avez vu ; il n’aurait même pas rapporté cent roubles, s’il était un malhonnête homme ! Ces cent cinquante roubles ont été donnés à Tchébaroff pour le couvrir de ses frais de déplacement. Moquez-vous plutôt de notre maladresse, de notre