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sieur Bourdovsky est peut-être maintenant tout à fait convaincu que monsieur Pavlichtcheff l’a aimé par grandeur d’âme et non par devoir paternel. À tout le moins était-il nécessaire d’apprendre ce fait à monsieur Bourdovsky, qui tout à l’heure, après la lecture de l’article, a soutenu et approuvé monsieur Keller. Je parle ainsi parce que je vous considère comme un homme noble, monsieur Bourdovsky. En second lieu, il est avéré qu’il n’y a eu ici absolument aucune intention de friponnerie, même chez Tchébaroff. Je tiens à le déclarer bien haut, car tantôt, dans l’entraînement de la conversation, le prince a laissé entendre que moi aussi je croyais à une tentative de vol. Ici, au contraire, tout le monde a été de bonne foi, et, quoique Tchébaroff soit peut-être en effet un grand fripon, dans cette affaire il apparaît seulement comme un avocat madré. Il a vu là une cause qui pouvait lui rapporter beaucoup d’argent, et ce n’était pas mal calculé : il avait spéculé d’une part sur le désintéressement du prince et sa respectueuse reconnaissante pour feu Pavlichtcheff, d’autre part sur le point de vue chevaleresque sous lequel le prince envisage les obligations d’honneur et de conscience. Quant à monsieur Bourdovsky, étant donnés ses principes, on peut même affirmer qu’il s’est engagé dans cette affaire sans aucune pensée d’intérêt personnel : il s’y est décidé à l’instigation de Tchébaroff et de son entourage, qui lui ont représenté cela comme un service à rendre à la vérité, au progrès et à l’humanité. Bref, la conclusion qui se dégage nettement de tous les faits exposés, c’est qu’en dépit de toutes les apparences monsieur Bourdovsky est un homme irréprochable ; aussi le prince peut-il maintenant, de meilleur cœur encore que tantôt, lui offrir son amitié et le secours effectif dont il a parlé tout à l’heure…

— Chut ! Gabriel Ardalionovitch, chut ! cria le prince positivement effrayé, mais il était trop tard.

— J’ai dit, j’ai déjà répété trois fois, vociféra Bourdovsky irrité, — que je ne voulais pas d’argent. Je ne le prendrai pas… pourquoi ?… je n’en veux pas… je m’en vais !