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remords déchirèrent son cœur. Outre qu’il avait « offensé » Bourdovsky en déclarant devant témoins qu’il le supposait atteint de la maladie dont lui-même s’était guéri en Suisse, il se reprochait, comme une grossière indélicatesse de lui avoir offert les dix mille roubles en présence de tout le monde. « J’aurais dû attendre jusqu’à demain et lui offrir cet argent lorsque nous nous serions trouvés seul à seul, — pensait le prince, — maintenant il est trop tard, le mal est fait ! Oui, je suis un idiot, un véritable idiot ! » décida-t-il à part soi, pénétré de honte et de douleur.

Jusqu’alors Gabriel Ardalionovitch était resté à l’écart et n’avait pas ouvert la bouche. Sur l’invitation du prince, il vint se placer à côté de lui, puis, d’une voix calme et nette, commença à rendre compte de la mission confiée à ses soins. Toutes les conversations cessèrent instantanément. Tous, — et en particulier la société de Bourdovsky, — se mirent à écouter avec une curiosité extraordinaire.

IX

— Vous ne nierez pas sans doute, dit Gabriel Ardalionovitch à Bourdovsky, qui, visiblement ahuri, l’écoutait de toutes ses oreilles en fixant sur lui de grands yeux étonnés, — vous ne voudrez pas nier sérieusement que vous ne soyez né juste deux ans après le mariage légitime de votre honorée mère avec monsieur le secrétaire de collège Bourdovsky, votre père. Rien n’est plus facile que d’établir par des faits l’époque de votre naissance ; aussi ne peut-on voir qu’un jeu de l’imagination de monsieur Keller dans la version si offensante pour votre mère et pour vous qu’il a donnée de cet événement ; du reste, son but, en altérant ainsi la vérité, était de rendre votre droit plus évident et de servir vos intérêts. Monsieur Keller dit qu’il vous a au préa-