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que je me trompais peut-être et que Pavlichtcheff pouvait, en effet, avoir eu un fils. Mais je fus profondément étonné de la facilité avec laquelle ce fils révélait le secret de sa naissance et déshonorait sa mère. Car Tchébaroff, dans son entretien avec moi, m’avait déjà menacé de la publicité…

— Quelle bêtise ! interrompit violemment le neveu de Lébédeff.

— Vous n’avez pas le droit… vous n’avez pas le droit ! cria Bourdovsky.

— Le fils n’est pas responsable des désordres de son père, et la mère n’est pas coupable, ajouta avec feu Hippolyte.

— C’était, me semble-t-il, une raison de plus pour épargner… observa timidement le prince.

— Prince, non-seulement vous êtes naïf, mais peut-être vous dépassez les limites de la naïveté, dit avec un sourire sarcastique le neveu de Lébédeff.

— Et quel droit aviez-vous ?… fit de la voix la plus étrange Hippolyte.

— Aucun, aucun ! se hâta de reconnaître le prince : — en cela vous avez raison, je l’avoue, mais ç’a été involontaire, et immédiatement je me suis dit que je n’avais pas à considérer ici mes sentiments personnels, que si moi-même je me croyais tenu de faire droit à la demande de monsieur Bourdovsky par égard pour la mémoire de Pavlichtcheff, je devais y faire droit en tout état de cause, c’est-à-dire, que j’estimasse ou non monsieur Bourdovsky. Si j’ai parlé de cela, messieurs, c’est seulement parce qu’il m’a semblé peu naturel qu’un fils livrât ainsi à la publicité le secret de sa mère… Bref, voilà surtout ce qui m’a convaincu que Tchébaroff devait être une canaille et que lui-même avait trompé monsieur Bourdovsky pour le pousser à cette tentative d’escroquerie.

— Mais c’est impossible ! s’écrièrent les visiteurs, dont plusieurs même se dressèrent brusquement sur leurs pieds.

— Messieurs ! Mais d’après cela j’ai jugé aussi que le malheureux monsieur Bourdovsky devait être un homme simple, sans défense, un instrument commode entre les mains des