— Qu’est-ce que c’est ? demanda Élisabeth Prokofievna à Viéra, la fille de Lébédeff, qui, debout devant elle, avait dans les mains quelques volumes de grand format, très-élégamment reliés et presque neufs.
— C’est Pouchkine, répondit la jeune fille. — Notre Pouchkine. Papa m’a ordonné de vous l’offrir.
— Comment cela ? Est-ce possible ? fit avec surprise la générale.
— Pas en cadeau, pas en cadeau ! Je n’oserais pas me permettre cela ! dit précipitamment Lébédeff, qui, jusqu’alors masqué par sa fille, se montra tout à coup ; — pour le prix qu’il vaut. C’est notre propre Pouchkine, l’exemplaire de notre famille, l’édition d’Annenkoff, introuvable aujourd’hui. Je le cède pour le prix qu’il vaut. Je propose respectueusement à Votre Excellence de l’acheter, désirant ainsi étancher la noble soif littéraire qui la dévore.
— Ah ! si tu veux le vendre, c’est bien, merci. Tu ne perdras rien, n’aie pas peur ; seulement ne te contorsionne pas, je te prie, batuchka. J’ai entendu parler de toi, tu es, dit-on, très-érudit, il faudra que nous causions ensemble un jour ou l’autre ; tu m’apporteras toi-même ces livres ?
— Avec vénération et… respect ! répondit Lébédeff, dont la satisfaction se traduisait par des grimaces extraordinaires, et il prit les volumes des mains de sa fille.
— Eh bien, apporte-les avec ou sans respect, pourvu que tu n’en perdes pas en route ; seulement, je mets à cela une condition, ajouta Élisabeth Prokofievna en regardant fixement l’employé, — tu ne franchiras pas le seuil de ma porte, je n’ai pas l’intention de te recevoir aujourd’hui. Ta fille Viéra, tu peux l’envoyer tout de suite si tu veux : elle me plait beaucoup.
— Pourquoi donc ne parlez-vous pas d’eux ? dit impatiemment Viéra à son père : — si on ne les annonce pas, ils entreront tout de même : ils ont commencé à faire du tapage. Léon Nikolaïévitch, poursuivit-elle en s’adressant au prince qui avait déjà pris son chapeau, — il y a là quatre hommes