que ce « chevalier pauvre » ? C’est donc un secret bien terrible qu’on a si peur de le dévoiler ?
De nouveaux rires furent la seule réponse qu’obtint la générale.
— Il s’agit tout bonnement d’une étrange poésie russe intitulée : le Chevalier pauvre, finit par dire le prince Chtch…, évidemment désireux de changer au plus tôt la conversation ; — c’est un morceau qui n’a ni commencement ni fin. Il y a juste un mois, on riait tous ensemble après le dîner et on cherchait, comme à l’ordinaire, un sujet pour le futur tableau d’Adélaïde Ivanovna. Vous savez que c’est depuis longtemps la tâche commune de toute la famille. Tous les suffrages se sont portés sur le « chevalier pauvre » ; qui l’a proposé le premier ? je ne m’en souviens pas…
— C’est Aglaé Ivanovna ! cria Kolia.
— Peut-être, je ne dis pas le contraire, seulement je ne m’en souviens pas, reprit le prince Chtch… — Les uns ont ri de ce sujet, les autres ont dit qu’il ne pouvait pas y en avoir de plus élevé, mais que, pour représenter le « chevalier pauvre », il fallait, en tout cas, un visage : on a passé en revue les têtes de toutes les connaissances, pas une ne convenait, et la chose en est restée là. Voilà tout. Je ne comprends pas pourquoi Nicolas Ardalionovitch s’est avisé de rappeler tout cela. Ce qui alors était plaisant et avait de l’à-propos, manque tout à fait d’intérêt maintenant.
— C’est qu’il y a là-dessous quelque nouvelle sottise, quelque persiflage injurieux, déclara sévèrement Élisabeth Prokofievna.
— Il n’y a aucune sottise, il n’y a qu’une profonde estime, dit brusquement Aglaé, qui prononça ces mots avec une gravité inattendue. Toute trace de son agitation précédente avait disparu. Bien plus, à en juger d’après certains indices, elle-même à présent semblait voir avec plaisir le développement que prenait la plaisanterie. Ce changement s’était opéré chez la jeune fille alors précisément que la confusion du prince devenait le plus manifeste.