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défunte épouse Hélène, qui, il y a de cela six semaines, est morte en couches, par la volonté de Dieu… oui… elle lui tient lieu de mère, quoiqu’elle ne soit que sa sœur et rien de plus que sa sœur… rien de plus, rien de plus…

— Et toi, batuchka, tu n’es rien de plus qu’un imbécile, excuse-moi. Allons, assez, tu le comprends toi-même, je pense, répliqua la générale avec une indignation extraordinaire.

Lébédeff s’inclina profondément.

— C’est la vérité vraie ! répondit-il avec le plus grand respect.

— Écoutez, monsieur Lébédeff, on dit que vous expliquez l’Apocalypse, est-ce vrai ? demanda Aglaé.

— C’est la vérité vraie… depuis quinze ans.

— J’ai entendu parler de vous. Il a même été question de vous dans les journaux, je crois ?

— Non, c’est d’un autre commentateur que les journaux ont parlé, mais celui-là est mort, et c’est moi qui l’ai remplacé, dit Lébédeff ivre de joie.

— Nous sommes voisins, ayez donc la bonté de venir un de ces jours m’expliquer l’Apocalypse ; je n’y comprends rien.

— Je ne puis pas ne pas vous prévenir, Aglaé Ivanovna, que tout cela n’est de sa part que du charlatanisme, intervint brusquement le général Ivolguine, qui s’était assis à côté d’Aglaé et depuis longtemps brûlait de lui adresser la parole ; — sans doute la campagne a ses droits et ses plaisirs, continua Ardalion Alexandrovitch, — et recevoir un intrus si extraordinaire pour l’entendre pérorer sur l’Apocalypse, est une fantaisie comme une autre, je dirai même une fantaisie remarquable au point de vue de l’esprit, mais je… Vous avez l’air de me regarder avec étonnement ? Le général Ivolguine, j’ai l’honneur de me présenter. Je vous ai portée sur mes bras, Aglaé Ivanovna.

— Enchantée. Je connais Barbara Ardalionovna et Nina Alexandrovna, murmura la jeune fille, qui faisait tous ses efforts pour ne pas éclater de rire.