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je me demandais si un pareil homme ne serait pas trop hospitalier pour vous et pour moi.

— Mais vous avez, paraît-il, les meilleures relations avec lui ?

— Des relations fraternelles ; je prends cela comme une plaisanterie ; que nous soyons beaux-frères, peu m’importe, — c’est plutôt un honneur pour moi. Même à travers les deux cents personnes et le millième anniversaire de l’empire russe, je distingue en lui un homme très-remarquable. Je parle sincèrement. Tout à l’heure, prince, vous disiez qu’en m’approchant de vous j’avais l’air de vouloir vous confier un secret ; eh bien, justement, j’en ai un à vous communiquer : une certaine personne vient de me faire savoir qu’elle désirerait beaucoup avoir une entrevue secrète avec vous.

— Pourquoi donc secrète ? En aucune façon. J’irai moi-même chez elle, peut-être aujourd’hui.

— Pas du tout, pas du tout, reprit Lébédeff en agitant le bras ; — si elle a peur, ce n’est pas de ce que vous croyez. À propos : le monstre vient chaque jour s’informer de votre santé, savez-vous cela ?

— Vous le traitez trop souvent de monstre, cela m’est très-suspect.

— Vous ne pouvez avoir aucun soupçon, aucun, répondit aussitôt Lébédeff, — je voulais seulement vous dire que la personne en question n’a pas peur de lui, et que sa crainte est tout autre, tout autre.

— Mais de quoi donc a-t-elle peur ? dites-le tout de suite, fit le prince, impatienté, en voyant les grimaces mystérieuses de son interlocuteur.

— C’est précisément là le secret.

Et Lébédeff sourit.

— Le secret de qui ?

— Le vôtre. Vous-même m’avez défendu, excellentissime prince, de parler devant vous… murmura l’employé, et heureux d’avoir irrité au plus haut point la curiosité de Muichkine, il acheva brusquement : — Elle a peur d’Aglaé Ivanovna.