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séquent, si cette boutique existait et si la chose en question figurait réellement à l’étalage, c’était proprement cette chose qui avait décidé le prince à s’arrêter. Il fallait donc qu’elle eût pour lui un intérêt bien vif, puisqu’elle avait captivé son attention au montent même où il sortait de la gare, en proie à une agitation si pénible.

Il marchait en regardant à droite avec une sorte d’angoisse ; l’impatience et l’inquiétude faisaient battre son cœur. Mais voici cette boutique ! Il en était déjà à cinq cents pas lorsqu’il avait eu l’idée de rebrousser chemin. Voici également cet objet de soixante kopeks. « Sans doute, il ne vaut pas plus ! » se dit encore le prince en le revoyant, et il se mit à rire. Mais c’était une gaieté hystérique ; il se sentait fort oppressé. À présent il avait le souvenir très-net qu’ici même, étant debout devant cette fenêtre, il s’était brusquement retourné, comme tantôt, quand il avait surpris sur lui les yeux de Rogojine. Après s’être assuré qu’il ne s’était pas trompé (ce dont il n’avait jamais douté d’ailleurs), il s’éloigna aussitôt de la boutique. Tout cela demandait à être examiné sans délai ; il était clair maintenant qu’à la gare le prince n’avait pas non plus été le jouet d’une illusion, qu’il lui était arrivé quelque chose de très-réel, et que cet incident se rattachait à l’objet de son inquiétude précédente. Mais, cette fois encore, un insurmontable sentiment de dégoût prit le dessus dans l’âme du prince : il ne voulut réfléchir à rien et donna un tout autre cours à ses pensées.

Il songea notamment à un phénomène qui précédait ses attaques d’épilepsie, lorsque celles-ci se produisaient à l’état de veille. Au milieu de l’abattement, du marasme mental, de l’anxiété qu’éprouvait le malade, il y avait des moments où son cerveau s’enflammait tout à coup, pour ainsi dire, et où toutes ses forces vitales atteignaient subitement un degré prodigieux d’intensité. La sensation de la vie, de l’existence consciente, était presque décuplée dans ces instants rapides comme l’éclair. Une clarté extraordinaire illuminait l’esprit et le cœur. Toutes les agitations se calmaient ; tous les