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partement. Là encore c’étaient des pièces sombres dont la propreté extraordinaire avait quelque chose de glacial ; les meubles vieux et d’un aspect sévère étaient recouverts de housses blanches fort propres. Sans se faire annoncer, Rogojine passa avec le prince dans une sorte de petit salon coupé en deux par une cloison en acajou derrière laquelle se trouvait apparemment une chambre à coucher. Dans un coin du salon, près du poêle, était assise sur un fauteuil une petite vieille qui ne paraissait pas encore trop âgée ; son visage resté assez plein et assez agréable avait un certain air de santé, mais ses cheveux étaient tout blancs et on s’apercevait à première vue qu’elle était tout à fait tombée en enfance. Vêtue d’une robe de laine noire, elle avait au cou un grand mouchoir noir et sur la tête un bonnet blanc très-propre garni de rubans noirs. Ses pieds étaient posés sur un tabouret. À côté d’elle tricotait en silence une autre vieille d’un âge plus avancé qui, comme elle, était vêtue de deuil et coiffée d’un bonnet blanc, — quelque parasite sans doute. Probablement, aucune conversation n’avait jamais lieu entre ces deux femmes. Lorsque Rogojine entra avec son compagnon, la première vieille sourit, et, pour témoigner sa joie de leur visite, les salua à plusieurs reprises d’un aimable signe de tête.

— Ma mère, dit Rogojine après lui avoir baisé la main, — voici mon grand ami, le prince Léon Nikolaïévitch Muichkine ; nous avons échangé nos croix ; à Moscou, pendant un temps, il a été un frère pour moi, je lui dois beaucoup. Bénis-le, ma mère, comme tu bénirais un fils. Attends, vieille, donne-moi ta main, que je te dispose les doigts…

Mais, sans attendre que Parfène lui prit la main, la vieille la leva, rapprocha trois doigts, et, par trois fois, fit pieusement le signe de la croix sur le prince. Cette bénédiction fut accompagnée d’un nouveau salut affectueusement adressé à Muichkine.

— Eh bien, allons-nous-en, Léon Nikolaïévitch, dit Rogojine, — je ne t’avais amené que pour cela…