tout cela, l’extirper de mon cœur ! Allons, adieu… Mais qu’est-ce que tu as ?
Tout en parlant, Muichkine, distrait, avait repris le petit couteau par un mouvement machinal, et, de nouveau, Parfène Séménitch s’était empressé de le lui retirer des mains pour le jeter sur la table. Ce couteau n’avait rien d’extraordinaire ; la lame, emmanchée dans un bois de cerf, était longue de trois verchoks et demi, et large en proportion.
Voyant que sa persistance à lui arracher des mains cet objet avait attiré l’attention du prince, Rogojine saisit le couteau avec colère, le fourra dans le livre et jeta celui-ci sur une autre table.
— Tu t’en sers pour couper les pages, n’est-ce pas ? demanda le prince, qui semblait ne pouvoir secouer le fardeau d’une préoccupation obsédante.
— Oui, pour couper les pages…
— C’est un couteau de jardin ?
— Oui. Est-ce qu’on ne peut pas couper les pages d’un livre avec un couteau de jardin ?
— Mais il… il est tout neuf.
— Eh bien, qu’importe ? Est-ce que je ne puis pas acheter un couteau neuf ? répliqua dans un transport de colère Parfène Séménitch, dont l’irritation s’était accrue à chaque parole prononcée par le visiteur.
Celui-ci eut un frisson ; il regarda fixement Rogojine, puis, sortant soudain de sa rêverie, il se mit à rire.
— Eh ! quelle idée ! Pardonne-moi, mon ami, quand j’ai la tête lourde comme maintenant, et que j’éprouve les atteintes de cette affection… je suis sujet à des absences ridicules. Ce n’était pas du tout cela que j’avais envie de te demander… je ne me rappelle plus la question que je voulais te faire… Adieu…
— Pas par là, dit Rogojine.
— Je l’avais oublié !
— Par ici, par ici, je vais te conduire.