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de toi, qu’y a-t-il là d’étonnant ? Elle t’a quitté parce qu’elle a reconnu combien elle t’aimait. Elle n’était plus capable de résister à sa passion. Tu disais tantôt que j’avais cherché après elle dans Moscou ; c’est une erreur : pour se dérober à toi, elle-même s’est réfugiée auprès de moi. « Fixe le jour, me dit-elle, je suis prête ! Fais venir du champagne ! Allons chez les Tsiganes ! » Sans moi, il y a longtemps qu’elle se serait jetée à l’eau, tu peux en être sûr. Si elle ne se noie pas, c’est parce que j’offre peut-être encore plus de danger que la rivière. Elle m’épousera par colère, si elle m’épouse.

— Mais, toi, comment donc… comment donc… s’écria le prince.

Il n’en put dire davantage et regarda Rogojine avec terreur.

Celui-ci sourit.

— Pourquoi donc n’achèves-tu pas ? Veux-tu que je te dise quelle idée t’occupe en ce moment même : « Comment donc maintenant peut-elle l’épouser ? Comment laisser faire ce mariage ? » Je sais bien à quoi tu penses…

— Je ne suis pas venu ici pour cela, Parfène ; je te le répète, ce n’est pas cela que j’avais dans l’esprit…

— Il se peut que tu ne sois pas venu pour cela et que tu aies eu autre chose dans l’esprit, mais maintenant c’est, pour sûr, à cela que tu songes, hé, hé ! Allons, assez ! pourquoi es-tu si bouleversé ? Se peut-il que ce soit vraiment pour toi une révélation ? Tu m’étonnes !

— Tout cela est de la jalousie, Parfène, tout cela est une maladie, tu as démesurément exagéré tout cela… balbutia le prince, en proie à une agitation extraordinaire. — Qu’est-ce que tu as ?

— Laisse, dit Rogojine, et, arrachant vivement des mains du visiteur un petit couteau que celui-ci avait pris sur la table, à côté du livre, il se hâta de le remettre en place.

— Je m’en doutais, quand je suis arrivé à Pétersbourg, j’en avais, pour ainsi dire, le pressentiment… continua le prince, — je ne voulais pas venir ici ! Je voulais oublier