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risque de manquer le général et d’avoir à remettre au lendemain son voyage à Pavlovsk, il résolut d’aller à la recherche de la maison où il désirait tant se rendre.

En un sens, du reste, cette visite ne laissait pas d’être délicate pour lui, et il hésitait fort à accomplir une démarche qui lui paraissait risquée. La maison, il le savait, était située rue aux Pois, non loin de la Sadovaïa, et il se mit en route dans l’espoir que, chemin faisant, il aurait le temps de prendre une résolution définitive.

En arrivant à l’endroit où les deux rues se croisent, le prince s’étonna de son extraordinaire agitation ; il n’avait pas prévu que son cœur battrait si violemment. Une maison dont il était encore éloigné attira son attention, probablement parce qu’elle offrait un aspect particulier. Plus tard le prince se rappela qu’il s’était dit : « C’est certainement cette maison-là. » Il s’approcha avec une curiosité extrême pour vérifier sa conjecture, sentant qu’il lui serait fort désagréable d’avoir deviné juste. C’était une grande et sombre maison de trois étages ; dénuée de tout cachet artistique, elle attristait le regard par le ton vert sale de sa façade. Quelques demeures semblables, bâties à la fin du siècle dernier, subsistent encore (en fort petit nombre, il est vrai) avec leur physionomie primitive dans ces rues de Pétersbourg où tout se transforme si vite. Solidement construites, elles se font remarquer par l’épaisseur de leurs murs et l’excessive rareté de leurs croisées. Au rez-de-chaussée, le plus souvent occupé par une boutique de changeur, les fenêtres sont parfois grillées. Le skopetz a son appartement au-dessus du local où il exerce son commerce. Au dehors comme au dedans, on sent là quelque chose de sec, d’inhospitalier et de mystérieux. D’où provient cette impression ? il serait difficile de l’expliquer. Cela tient sans doute à l’ensemble des lignes architecturales. Ces maisons sont presque exclusivement habitées par des marchands. Au moment où il approchait de la grand’porte, le prince y vit un écriteau ainsi conçu : « Maison de Rogojine, bourgeois notable héréditaire. »