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« Est-il vrai, me dit-il quand nous fûmes seul à seul, que tu expliques la prophétie relative à l’Antechrist ? — Oui », n’hésitai-je pas à répondre, et je me mis à commenter la vision allégorique de l’Apôtre. Il commença par sourire, mais les supputations numériques et les similitudes le firent trembler. Il me pria de fermer le livre, me congédia et me porta sur le tableau des récompenses. Cela se passait au moment des fêtes de Pâques, et, huit jours plus tard, Nil Alexiévitch rendait son âme à Dieu.

— Qu’est-ce que vous dites, Lébédeff ?

— La vérité. Il a fait une chute en bas de sa voiture après son dîner… sa tempe a été donner contre une borne et il est mort immédiatement. C’était un homme de soixante-treize ans, au visage assez coloré, à la chevelure blanche ; il s’inondait d’eaux de senteur et souriait toujours, comme un petit enfant. Pierre Zakharitch se rappela alors mon entretien avec le défunt, « Tu l’avais prophétisé », me dit-il.

Le prince se leva. Lébédeff fut surpris, désappointé même, en voyant que son visiteur se préparait déjà à s’en aller.

— Vous êtes devenu fort indifférent, hé, hé ! osa-t-il observer avec une liberté respectueuse.

— Vraiment, je ne me sens pas très-bien, j’ai la tête lourde, c’est sans doute l’effet du voyage, répondit le prince en fronçant le sourcil.

— Si vous alliez à la campagne ? suggéra timidement Lébédeff.

Le prince restait pensif.

— Voyez-vous, moi-même je vais dans trois jours me transporter à la campagne avec tout mon monde. La santé du baby exige ce déplacement, et, pendant notre absence, on fera ici, dans la maison, toutes les réparations nécessaires. Je vais aussi à Pavlovsk.

— Vous aussi, vous allez à Pavlovsk ? demanda brusquement le prince. — Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Tout le monde ici va donc à Pavlovsk ? Et vous avez aussi là une maison de campagne, dites-vous ?