entendu de mes oreilles ; Kolia l’a entendu aussi : il a complètement perdu l’esprit !
— Vous voyez, vous entendez comme il me bafoue, prince ! s’écria en rougissant Lébédeff hors de lui. — Je puis être un ivrogne, un débauché, un être malfaisant, un voleur, mais j’ai du moins une chose pour moi : il ne sait pas, ce persifleur, que, quand il est venu au monde, c’est moi qui l’ai emmailloté, moi qui l’ai lavé. Ma sœur Anisia avait perdu son mari et se trouvait dans la misère ; moi, qui n’étais pas moins pauvre qu’elle, j’ai passé des nuits entières à la veiller ; je soignais la mère et l’enfant, malades tous deux ; j’allais en bas voler du combustible chez le dvornik ; mourant de faim, je chantais en faisant claquer mes doigts pour endormir le baby, bref je lui ai servi de niania, et voilà qu’a présent il se moque de moi ! Et quand même j’aurais fait un signe de croix pour le repos de l’âme de la comtesse Du Barry, que t’importe ? Prince, il y a trois jours, j’ai lu, pour la première fois de ma vie, la biographie de cette femme dans un dictionnaire historique. Sais-tu, toi, ce qu’elle était, la Du Barry ? Parle, le sais-tu, oui ou non ?
— Allons, il n’y a que toi qui le saches, n’est-ce pas ? grommela le jeune homme en affectant un ton railleur.
— C’était une comtesse qui, sortie du bourbier, a gouverné comme une reine, et à qui une grande impératrice a écrit de sa propre main une lettre où elle l’appelait : « Ma chère cousine ». Au lever du Roi (sais-tu ce que c’était que le lever du Roi ?), un cardinal, un nonce du Pape, s’offrait à lui mettre ses bas de soie : un si haut et si saint personnage regardait cela comme un honneur ! Connaissais-tu ce détail ? Je vois à ta mine que tu l’ignorais ! Eh bien, comment est-elle morte ? Réponds, si tu le sais !
— Laisse donc ! tu es assommant !
— Voici quelle fut sa mort : après tant d’honneurs, après s’être vue quasiment souveraine, elle a été guillotinée par le bourreau Samson ; elle était innocente, mais il fallait cela pour la satisfaction des poissardes du Paris. Sa frayeur était