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— Si je veux ! Voilà qui est plaisant ! Pensez-vous donc que je m’abuse sur l’inconvenance flagrante de ma manière d’agir ? Je sais fort bien moi-même que son argent est à lui et que mon procédé ressemble à une tentative d’extorsion. Mais vous, prince… vous ne connaissez pas la vie. Si on ne leur donne pas une leçon, ils ne comprendront rien. Il faut les instruire. Mes intentions sont parfaitement honnêtes ; en conscience, je ne lui ferai rien perdre, je lui rembourserai le capital avec les intérêts. Il a aussi obtenu une satisfaction morale : il a vu mon abaissement. Que lui faut-il donc de plus ? Et à quoi sera-t-il bon, s’il ne veut rendre aucun service ? Voyez un peu ce qu’il fait lui-même ! Demandez-lui donc comment il en use avec les autres, comment il trompe les gens ! De quelle façon s’y est-il pris pour acquérir cette maison ? Je donne ma tête à couper s’il ne vous a pas déjà mis dedans et s’il ne projette pas de vous tromper encore ! Vous souriez, vous ne le croyez pas ?

— Il me semble que tout cela n’a pas grand rapport avec votre affaire, remarqua le prince.

— Voilà trois jours que je couche ici, cria le jeune homme sans s’arrêter à cette observation, — et que n’ai-je pas appris déjà ! Figurez-vous que cet ange, cette jeune fille maintenant orpheline qui est ma cousine germaine et sa fille, il la soupçonne, il cherche toutes les nuits si un bon ami n’est pas caché dans sa chambre ! Il vient aussi à pas de loup dans cette pièce-ci et regarde sous le divan qui me sert de lit. La défiance lui a fait perdre la raison ; il voit des voleurs dans chaque coin. La nuit, il est continuellement sur pied, il se relève au moins sept fois pour s’assurer que les fenêtres et les portes sont bien fermées, pour jeter un coup d’œil dans le poêle. Ce même homme, qui plaide en faveur des fripons, quitte son lit trois fois par nuit et vient se mettre en prière ici dans la salle ; il s’agenouille, se cogne le front contre le sol pendant une demi-heure, et pour qui ne prie-t-il pas ? Qu’est-ce qui ne défile pas dans ses oremus d’ivrogne ? Il a prié pour le repos de l’âme de la comtesse Du Barry, je l’ai