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correspondant, aux travaux de plusieurs sociétés scientifiques russes. Conjointement avec un technologiste de sa connaissance, il avait fait modifier avantageusement le tracé primitif d’une de nos principales voies ferrées. Âgé de trente ans, homme du meilleur monde, il possédait en outre une fortune « sérieuse, indiscutable », comme disait le général, qui, après avoir rencontré le prince chez le comte, son supérieur, était entré en rapport avec lui à l’occasion d’une affaire assez importante. Par suite d’une curiosité particulière, Chtch… ne répugnait nullement à se lier avec les « hommes d’affaires » russes. Il arriva que le prince fit aussi connaissance avec la famille Épantchine. Adélaïde Ivanovna produisit sur lui une impression assez forte. Vers la fin de l’hiver, il demanda la main de la jeune fille. Le prétendant plut beaucoup à Adélaïde, ainsi qu’à Élisabeth Prokofievna. Le général fut enchanté. On se décida naturellement à différer le voyage et il fut convenu que la noce aurait lieu au printemps.

Au surplus, Élisabeth Prokofievna et ses deux autres filles auraient pu partir soit au milieu, soit à la fin de l’été, et aller séjourner un mois ou deux à l’étranger pour se distraire un peu du chagrin qu’Adélaïde devait laisser dans la maison paternelle en l’abandonnant. Mais il survint encore quelque chose : à la fin du printemps (le mariage d’Adélaïde avait été un peu retardé et renvoyé au milieu de l’été), le prince Chtch… introduisit chez les Épantchine un de ses parents éloignés, un certain Eugène Pavlovitch R…, avec qui, du reste, il était assez lié. C’était un jeune homme de vingt-huit ans, aide de camp de l’Empereur, beau, bien né, spirtuel, brillant, « moderne », fort instruit et puissamment riche. Quant au dernier point, le général se tenait toujours sur ses gardes. Il allait aux informations : « en effet, il paraît y avoir de la fortune, mais il faut encore s’assurer du fait ». La vieille Biélokonsky avait écrit de Moscou pour recommander dans les termes les plus chaleureux ce jeune aide de camp « d’avenir ». Toutefois Eugène Pavlovitch s’était acquis une célébrité légèrement scabreuse : le bruit public lui attri-