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ce n’était pas une mince affaire que d’appeler sur quelqu’un l’attention de la « vieille », car il s’en fallait de beaucoup que celle-ci eût la bienveillance banale.

Dès que la glace eut été rompue, le général parla, lui aussi. Du reste, les renseignements qu’il fournit se rapportaient exclusivement au « côté positif du sujet ». Très-soucieux des intérêts du prince, Ivan Fédorovitch l’avait fait surveiller, lui et surtout son conseil Salazkine, par deux messieurs de Moscou, des hommes sûrs et influents dans leur genre. Tout ce qu’on disait de l’héritage était vrai, au fond ; seulement le bruit public en avait beaucoup exagéré l’importance. Les affaires de Papouchine étaient passablement embrouillées ; il se trouvait avoir laissé des dettes ; plusieurs prétendants revendiquaient la succession ; de plus, sourd à toutes les observations, le prince avait agi avec un défaut complet de sens pratique. Certes, le général lui souhaitait sincèrement tout le succès possible ; il se plaisait à le déclarer, maintenant que la « glace du silence » était rompue, car « ce garçon, bien qu’il ne fût pas tout à fait comme un autre », méritait cela, en somme. Mais, en cette circonstance, il avait entassé sottises sur sottises. Par exemple, beaucoup des créanciers du défunt marchand appuyaient leurs réclamations sur des documents contestables, sans valeur ; d’autres même, devinant qu’ils avaient affaire à un homme bonasse, ne produisaient absolument aucune pièce à l’appui de leurs dires. Eh bien, les amis du prince avaient eu beau lui représenter que les droits de toutes ces petites gens étaient nuls, il avait soldé presque tous les créanciers, et cela uniquement parce que quelques-uns d’entre eux paraissaient, en effet, avoir souffert.

La générale observa que la vieille Biélokonsky lui avait écrit dans le même sens, et que « c’était bête, fort bête ; on ne guérit pas un imbécile », ajouta-t-elle d’un ton roide, mais l’expression de son visage montrait combien elle était contente des agissements de cet « imbécile ». En fin de compte, le général remarqua que sa femme s’intéressait au