d’un jeune prince fort sot (personne ne pouvait dire au juste comment il s’appelait), qui, ayant hérité tout à coup d’une fortune énorme, avait épousé une célébrité des bals publics parisiens en déplacement à Pétersbourg. Mais d’autres prétendaient que l’énorme héritage avait été fait par un général, et que l’époux de la cascadeuse française était un marchand russe immensément riche ; ils ajoutaient que le jour de son mariage cet homme, étant ivre, avait, par pure gloriole, brûlé à la flamme d’une bougie pour sept cent mille roubles de titres du dernier emprunt. Du reste, on cessa bientôt de s’occuper de toutes ces histoires, vu l’impossibilité de les tirer au clair. Par exemple, la bande de Rogojine, où se trouvaient des gens qui auraient pu fournir quelques renseignements, partit tout entière pour Moscou à la suite de son chef après avoir fait une noce de huit jours au Waux-Hall d’Ékatérinhoff. Nastasia Philippovna avait assisté à cette orgie monstre, et un petit nombre d’intéressés apprirent indirectement qu’elle avait disparu le lendemain ; on la croyait réfugiée à Moscou, supposition que semblait confirmer le départ de Rogojine pour cette ville.
Divers racontars circulèrent également sur le compte de Gabriel Ardalionovitch Ivolguine, qui était aussi assez connu dans un certain monde. Mais une circonstance ne tarda pas à faire taire les mauvaises langues : le jeune homme tomba gravement malade et on ne le vit plus ni dans la société, ni même à son bureau. Sa maladie dura un mois ; quand il eut recouvré la santé, il se démit de son emploi et la Compagnie dont il était le secrétaire dut pourvoir à son remplacement. Pas une seule fois non plus il n’alla chez le général Épantchine, si bien que ce dernier le remplaça aussi… Les ennemis de Gabriel Ardalionovitch auraient pu supposer qu’il n’osait plus se montrer nulle part, tant il se sentait honteux de tout ce qui lui était arrivé. Pourtant il s’en fallait de beaucoup que sa maladie fût une feinte ; bien plus, elle avait eu pour effet de le rendre hypocondriaque, maussade, irritable. Ce même hiver, Barbara Ardalionovna épousa