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d’excuses. Arrivé près de la table, il y déposa un objet étrange qu’il tenait devant lui, serré dans ses deux mains, en traversant le salon. C’était un paquet haut de trois verchoks et long de quatre, soigneusement enveloppé dans un numéro de la Gazette de la Bourse ; ce paquet était lié avec une ficelle comme celles que l’on noue autour des pains de sucre. Ensuite Rogojine laissa tomber ses bras, et, silencieux, attendit en quelque sorte son arrêt. Il portait exactement le même costume que tantôt, sauf qu’il avait au cou une écharpe toute neuve en soie rouge et verte, avec un gros diamant monté en épingle et figurant un scarabée ; ses mains n’étaient pas propres, mais à l’une d’elles on voyait une bague enrichie de brillants. Lébédeff s’arrêta à trois pas de la table. Katia et Pacha, les servantes de Nastasia Philippovna, étaient accourues, et, derrière les portières à demi soulevées, regardaient avec inquiétude.

La maîtresse du logis considéra curieusement Rogojine,

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en montrant des yeux l’« objet ».

— Les cent mille roubles ! répondit-il presque mystérieusement.

— Ah ! mais il a tenu parole. Quel homme ! Asseyez-vous, je vous prie, ici, sur cette chaise ; plus tard je vous dirai quelque chose. Qui est-ce qui est avec vous ? Toute votre société de tantôt ? Eh bien, qu’ils entrent, qu’ils s’asseyent. Ils peuvent prendre place sur ce divan, et en voici encore un autre. Tenez, il y a là deux fauteuils… Pourquoi ne veulent-ils pas ? Qu’est-ce qu’ils ont donc ?

Le fait est que plusieurs, positivement intimidés, avaient battu en retraite et attendaient dans la pièce voisine. Ceux qui étaient restés dans le salon déférèrent à l’invitation de Nastasia Philippovna ; seulement, ils s’assirent assez loin de la table et, pour la plupart, dans les coins ; les uns cherchaient encore à s’effacer, les autres recouvraient progressivement leur aplomb ; ce phénomène s’opérait même avec une rapidité singulière. Rogojine prit la chaise qui lui avait