j’avoue que ma curiosité est excitée au plus haut point. Je craignais seulement qu’ils n’abîmassent les tapis ou ne brisassent quelque chose… À mon avis, il ne faudrait pas les recevoir, Nastasia Philippovna !
— Rogojine lui-même ! annonça Ferdychtchenko.
— Qu’en pensez-vous, Afanase Ivanovitch ? demanda tout bas le général à Totzky ; — est-ce qu’elle n’est pas folle ? J’entends : folle, au sens propre du mot, dans l’acception médicale, — hein ?
— Je vous ai dit qu’elle avait toujours eu une prédisposition à cela, murmura d’un air fin Afanase Ivanovitch.
— Et puis la fièvre…
Depuis sa visite chez Gania, la bande de Rogojine s’était enrichie de deux nouvelles recrues : un vieillard débauché qui avait rédigé dans son temps un petit canard scandaleux, et un sous-lieutenant en retraite. Il circulait une anecdote sur le compte du premier : on racontait qu’il avait un faux râtelier monté en or, et qu’un jour il lui était arrivé de le mettre en gage pour se procurer l’argent nécessaire à une orgie. L’officier semblait un concurrent et un rival pour le monsieur fier de ses poings ; personne parmi les compagnons de Rogojine ne le connaissait ; on l’avait ramassé sur la perspective Nevsky, où il sollicitait, avec des phrases à la Marlinsky, la charité des passants, sous le fallacieux prétexte qu’au temps de sa splendeur il donnait des quinze roubles d’un coup aux gens qui lui demandaient l’aumône. De prime abord, les deux concurrents éprouvèrent de l’antipathie l’un pour l’autre. L’athlète se sentait blessé par l’admission du « solliciteur » dans la bande ; naturellement taciturne, il se bornait à proférer parfois un grognement d’ours et à considérer avec un souverain mépris le « solliciteur », lorsque celui-ci, homme du monde évidemment et politique délié, cherchait à s’insinuer dans ses bonnes grâces. À première vue, le sous-lieutenant paraissait être de ceux qui suppléent à la force par l’adresse et le savoir-faire ; d’ailleurs, il était plus petit que l’athlète. Délicatement, sans engager une discus-