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cela que vous vouliez dire ? Ne niez pas, vous vouliez certainement dire cela ! Afanase Ivanovitch, j’avais encore quelque chose à ajouter : gardez pour vous ces soixante-quinze mille roubles et sachez que je vous rends votre liberté gratis. Assez ! Il faut bien que vous respiriez aussi ! Neuf ans et trois mois ! Demain commencera une vie nouvelle, mais aujourd’hui c’est ma fête, et je m’appartiens, pour la première fois depuis que je suis au monde ! Général, reprenez vos perles, donnez-les à votre épouse, les voici ; dès demain je quitterai cet appartement. Et désormais il n’y aura plus de soirées, messieurs ! Après avoir ainsi parlé, elle se leva soudain, comme si elle eût voulu s’en aller.

— Nastasia Philippovna ! Nastasia Philippovna ! fit-on de tous côtés. L’agitation était générale. Tous les visiteurs avaient quitté leurs places et entouraient la maîtresse de la maison, écoutant avec inquiétude ces paroles saccadées, fiévreuses, délirantes ; personne n’y comprenait rien ; l’ahurissement, le désarroi était à son comble. Sur ces entrefaites retentit brusquement un coup de sonnette tout aussi fort que celui qui tantôt avait jeté l’émoi dans la demeure de Gania.

— Ah ! a-ah ! Voilà le dénoûment ! Enfin ! Il est onze heures et demie ! cria Nastasia Philippovna ; — je vous prie de vous asseoir, messieurs, c’est le dénoûment !

Cela dit, elle s’assit elle-même. Un étrange sourire tremblait sur ses lèvres. Silencieuse, elle attendait avec anxiété, et ses yeux ne quittaient pas la porte.

— Rogojine et les cent mille roubles, sans doute, murmura en aparté Ptitzine.

XV

La femme de chambre Katia entra fort effrayée.

— Dieu sait ce qu’il y a là, Nastasia Philippovna, dix