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toilette de bal ; or, je vous le demande, pouvait-on s’en procurer aisément dans une petite localité où tout le monde se les arrachait ? Pétia Vorkhovskoï était alors amoureux fou d’Anfisa Alexievna. Je ne sais pas, vraiment, s’il y avait quelque chose entre elle et lui, je veux dire, s’il pouvait avoir quelque espoir sérieux. Le pauvre garçon désirait passionnément procurer des camélias à Anfisa Alexievna pour le prochain bal. On savait que Sophie Bezpaloff et la comtesse Sotzky, — une Pétersbourgeoise en visite chez la gouvernante, — y viendraient toutes deux avec des bouquets blancs. Madame Ordyntzeff, pour un certain effet particulier, en voulait de rouges. Elle mit son mari en campagne et il s’engagea à lui trouver les fleurs tant désirées. Malheureusement, tous les camélias avaient été raflés la veille par Catherine Alexandrovna Mytichtcheff, qui était à couteaux tirés avec Anfisa Alexievna. Le résultat se devine : attaque de nerfs, évanouissement de la jeune femme, désespoir de Platon. Que Pétia réussit là où le mari avait échoué, cela, on le comprend, pouvait avancer singulièrement ses affaires : en pareil cas la reconnaissance féminine n’a point de bornes. Il se démène comme un diable dans un bénitier ; mais, est-il besoin de le dire ? tous ses efforts restent infructueux. Soudain, la veille du bal, je le rencontre à onze heures du soir chez une voisine d’Ordyntzeff, Marie Pétrovna Zoubkoff. Il est rayonnant. « Qu’est-ce que tu as ? — J’ai trouvé ! Eurêka ! — Eh bien, mon ami, tu m’étonnes ! Où ? Comment ? — À Ekchaïsk (une petite ville située à vingt verstes de là, dans un autre district) habite un vieux et riche marchand du nom de Trépaloff, c’est un homme marié et sans enfants ; sa femme et lui élèvent des serins ; tous deux ont la passion des fleurs, je trouverai des camélias chez Trépaloff. — Ce n’est pas sûr, et puis voudra-t-il t’en donner ? — Je me mettrai à genoux devant lui, je me roulerai à ses pieds, je ne m’en irai pas sans en avoir ! — Quand y vas-tu ? — Je pars demain, à cinq heures du matin. — Eh bien, que Dieu te conduise ! » Vous savez, j’en étais bien aise pour lui. Je