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cela s’agitait autour d’elle, elle était comme environnée de sourires, et soudain tout cela a disparu, elle est restée seule comme… comme une mouche, portant sur elle la malédiction de l’âge. Enfin, Dieu la rappelle à lui : au moment où le soleil se couche, par une douce soirée d’été, ma vieille s’envole aussi, — sans doute ce rapprochement comporte une pensée instructive, — et voilà qu’au lieu de larmes pour l’accompagner dans son dernier voyage, elle n’a que les insultes d’un jeune enseigne qui, le poing sur la hanche, lui fait une scène épouvantable à propos d’une soupière ! Assurément j’ai eu tort et, si j’envisage à présent mon action avec plus de sang-froid, je n’en continue pas moins à plaindre la pauvre femme. C’est au point, je le répète, que je m’en étonne moi-même, car, après tout, je ne suis guère responsable de ce qui est arrivé : pourquoi donc s’est-elle avisée de mourir juste dans ce moment-là ? Quoi qu’il en soit, je n’ai pu calmer mes remords qu’en fondant deux lits dans un hospice pour assurer à deux vieilles femmes malades le repos et le bien-être durant les derniers jours de leur existence terrestre. Cette fondation existe depuis quinze ans et j’ai l’intention de la rendre perpétuelle : j’y pourvoirai par mes dispositions testamentaires. Eh bien, voilà tout. Je répète que j’ai peut-être commis beaucoup de fautes, mais qu’en conscience je regarde cette action comme la plus vilaine de toute ma vie.

— Loin d’être la plus vilaine de votre vie, Excellence, l’action que vous nous avez racontée est une de celles qui vous font le plus d’honneur ; vous vous êtes joué de Ferdychtchenko ! observa le bouffon.

— Au fait, général, je ne m’imaginais pas que vous aviez si bon cœur, c’est même dommage, dit négligemment Nastasia Philippovna.

— Dommage ? Pourquoi donc ? demanda avec un rire aimable Ivan Fédorovitch, et, très-content de lui-même, il vida son verre de champagne.

C’était maintenant le tour d’Afanase Ivanovitch, qui avait