Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous voulez présenter le prince ? demanda Kolia, chemin faisant.

— Oui, mon ami, je veux le présenter : le général Ivolguine et le prince Muichkine, mais qu’est-ce que ?… comment ?… Marfa Borisovna…

— Vous savez, papa, vous auriez mieux fait de ne pas venir ! Elle vous mangera ! Depuis avant-hier vous n’avez pas montré votre nez, et elle attend de l’argent. Pourquoi lui en avez-vous promis ? Vous êtes toujours le même ! À présent, réglez vos comptes.

Au quatrième étage, ils s’arrêtèrent devant une porte assez basse. Ardalion Alexandrovitch, visiblement décontenancé, poussa le prince en avant.

— Moi, je resterai ici, balbutia-t-il, — je veux faire une surprise…

Kolia entra le premier. La maîtresse du logis jeta un coup d’œil sur le carré, et c’en fut fait de la surprise projetée par le général. Marfa Borisovna était une dame de quarante ans, vêtue d’une camisole moldave, chaussée de pantoufles et excessivement fardée ; ses cheveux formaient de petites tresses sur sa tête. Elle n’eut pas plutôt aperçu Ardalion Alexandrovitch qu’elle se mit à crier :

— Le voilà, cet homme bas et pervers, mon cœur me l’avait dit !

Le vieillard essaya de faire bonne mine à mauvais jeu.

— Entrons, cela n’a pas d’importance, murmura-t-il à l’oreille du prince.

Mais cela était plus sérieux qu’il ne voulait bien le dire. Dès que les visiteurs eurent traversé la sombre et basse antichambre pour pénétrer dans une étroite salle meublée d’une demi-douzaine de chaises de jonc et de deux petites tables de jeu, madame Térentieff, de la voix lamentable qui lui était habituelle, poursuivit le cours de ses invectives :

— Et tu n’es pas honteux, tu n’es pas honteux, barbare, tyran de ma famille ! Tu m’as dépouillée de tout, tu m’as sucée jusqu’à la moelle des os ! Combien de temps encore