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— Alexandra Mikhaïlovna est sortie aussi ! Oh ! mon Dieu, quel malheur ! Et figurez-vous, madame, que ce malheur m’arrive toujours ! Je vous prie très-humblement de remettre mes hommages et de rappeler au souvenir d’Alexandra Mikhaïlovna… en un mot, dites-lui que je lui souhaite de tout mon cœur ce qu’elle-même se souhaitait jeudi soir, en entendant exécuter la ballade de Chopin ; elle se rappellera… Je le lui souhaite sincèrement ! Le général Ivolguine et le prince Muichkine !

Les traits de la dame perdirent leur expression de défiance.

— Je n’y manquerai pas, répondit-elle ; puis elle fit une révérence et se retira.

En descendant l’escalier, le général témoigna encore ses plus vifs regrets de n’avoir pu mettre le prince en relation avec une si charmante famille.

— Vous savez, mon cher, je suis un peu poëte dans l’âme, avez-vous remarqué cela ? Mais, du reste… du reste, je crois que nous avons fait erreur, ajouta-t-il tout à coup : — les Sokolovitch, je m’en souviens maintenant, demeurent dans une autre maison, et même, si je ne me trompe, ils doivent être à Moscou en ce moment. Oui, je me suis légèrement blousé, mais… cela ne fait rien.

— Je voudrais seulement savoir, observa le prince découragé, — si je ne dois plus compter sur vous et s’il faut que j’aille seul chez Nastasia Philippovna ?

— Ne plus compter sur moi ? Aller seul ? Mais comment pouvez-vous me faire cette question, quand cela constitue pour moi une entreprise capitale d’où dépend dans une si large mesure le sort de toute ma famille ? Vous connaissez mal Ivolguine, mon jeune ami. Qui dit « Ivolguine » dit « mur » : compte sur Ivolguine comme sur un mur, voilà comme on parlait déjà de moi dans l’escadron où j’ai débuté. Mais nous allons entrer pour une petite minute dans la maison où, depuis quelques années déjà, mon âme se délasse de ses soucis et se console de ses épreuves.

— Vous voulez passer chez vous ?