maison, prince ? Au premier étage demeure un de mes vieux camarades, le général Sokolovitch ; il habite là avec sa famille, qui est très-noble et très-nombreuse. Eh-bien, cette maison et cinq autres : trois sur la perspective Nevsky, et deux dans la Morskaïa, — voilà maintenant toutes mes relations, j’entends mes relations personnelles. Nina Alexandrovna s’est depuis longtemps soumise aux circonstances. Moi, je continue à me souvenir… et, pour ainsi dire, à me délasser dans un cercle choisi, dans la société de mes anciens camarades et subordonnés qui n’ont pas cessé de m’adorer. Ce général Sokolovitch (du reste, il y a pas mal de temps que je ne suis allé chez lui et que je n’ai vu Anna Fédorovna)… Vous savez, cher prince, quand soi-même on ne reçoit pas, involontairement on s’abstient aussi d’aller chez les autres. Et pourtant… hum… vous avez l’air de ne pas me croire… Au fait, pourquoi ne présenterais-je pas à cette charmante famille le fils de mon meilleur ami, du compagnon de mon enfance ? Le général Ivolguine et le prince Muichkine ! Vous verrez une jeune fille étonnante, que dis-je une ? deux, trois même, l’ornement de la capitale et de la société : beauté, éducation, tendance… question des femmes, poésie, tout cela confondu dans un heureux mélange, sans compter que chacune d’elles aura au moins quatre-vingt mille roubles de dot, ce qui ne nuit jamais… en un mot, il faut absolument que je vous introduise dans cette maison ; c’est pour moi un devoir, une obligation. Le général Ivolguine et le prince Muichkine ! Tableau !
— Tout de suite ? maintenant ? Mais vous avez oublié… commença le prince.
— Non, je n’oublie rien, venez ! C’est ici, où vous voyez ce superbe escalier. Je m’étonne qu’il n’y ait pas de suisse, mais… c’est fête et le suisse a quitté sa loge… Comment n’ont-ils pas encore congédié cet ivrogne ? C’est à moi, à moi seul que ce Sokolovitch doit tout le bonheur qu’il a eu dans la vie et au service, mais… nous voici arrivés.
Sans plus faire d’objections, le prince suivait docilement.