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— Je voulais justement vous demander si, à titre de connaissance, vous ne pourriez pas m’introduire ce soir chez Nastasia Philippovna. Il faut absolument que je la voie aujourd’hui, j’ai à lui parler, mais je ne sais pas du tout comment faire pour avoir accès auprès d’elle. J’ai bien été présenté tantôt, mais je n’ai pas reçu d’invitation, et la réunion d’aujourd’hui est une réunion priée. Du reste, je suis prêt à passer par-dessus certaines convenances. Qu’on se moque même de moi, cela m’est égal, pourvu que je trouve moyen d’entrer d’une façon quelconque.

— Votre idée, mon jeune ami, se rencontre tout à fait avec la mienne, tout à fait ! s’écria le général enchanté, — ce n’est pas pour cette niaiserie que je vous ai appelé, poursuivit Ardalion Alexandrovitch, qui, d’ailleurs, ne laissa pas de prendre l’argent et de le mettre dans sa poche : — mon but était précisément de vous inviter à une expédition chez Nastasia Philippovna, ou, pour mieux dire, à une expédition contre Nastasia Philippovna ! Le général Ivolguine et le prince Muichkine ! quel effet cela fera sur elle ! Moi-même, je vais l’aller voir, par manière de politesse, à l’occasion de sa fête, et je signifierai enfin ma volonté, — d’une façon détournée, pas directement, mais ce sera tout comme. Alors Gania lui-même verra ce qu’il aura à faire : si un père vieilli au service de la patrie et… en quelque sorte… et caetera, ou… Mais advienne que pourra ! Votre idée est féconde au plus haut degré. Nous irons là à neuf heures, nous avons encore du temps devant nous.

— Où demeure-t-elle ?

— Loin d’ici, près du Grand Théâtre, maison Mytovtzoff, au premier étage… Il n’y aura pas grand monde chez elle, quoique ce soit l’anniversaire de sa naissance, et on se retirera de bonne heure…

Depuis longtemps déjà le soir était venu ; le prince restait toujours là, écoutant et attendant le général, qui commençait une quantité innombrable de récits sans en achever un seul. À l’arrivée de Muichkine, il s’était fait servir une nou-