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existent entre leurs personnages et les victimes d’une affection morbide, ils n’ont pas conclu à l’identité de cause. Au contraire, le romancier russe a la connaissance de ces rapports. Il considère la folie comme un phénomène d’ordre général, normal en un sens, que tout être humain subit à certains moments et jusqu’à un certain degré. En dehors même de ces moments, il constate dans la plupart des cerveaux certaines particularités natives, du même ordre que celles qui reçoivent un stigmate officiel et conduisent leur homme à l’hospice. Bien plus, il admet que ces conformations singulières sont parfois un titre à notre admiration et à notre respect, comme elles deviennent dans d’autres cas un objet de dégoût et de réprobation.

J’effleure à peine les questions que ce livre soulève. À chacun de les poursuivre aussi loin que bon lui semble. J’en ai dit assez pour indiquer quelle sorte d’intérêt il faut chercher dans cette nouvelle œuvre de Dostoïevsky. Elle a peut-être le tort de venir trop tôt. Dans cinquante ans quand la science de l’homme aura imposé au grand public la lente et inévitable révolution à laquelle nous assistons, quand il aura fallu rayer des dictionnaires usuel beaucoup de vieux vocables, dont l’acception trop étroite ne répond plus à l’état de nos connaissances, — et en premier lieu les mots de fou, de folie, — on s’apercevra que ce Russe audacieux a remué bien des problèmes qui seront alors sinon résolus, du moins franchement acceptés par tous. On lui saura gré, au milieu de beaucoup d’exagérations et d’enfantillages, d’avoir su concilier ses intuitions physiologiques avec un idéal moral et religieux, de ne s’être pas révolté contre un mystère qu’il faut bien admettre, sous peine de méconnaître l’une des deux évidences, celle du cœur ou celle de la raison.