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— Allons, on le sait bien. Et il est honteux de se marier dans ces conditions ?

— Très-honteux.

— Eh bien, sachez que je me marierai et que maintenant c’est chose absolument décidée. Tout à l’heure encore j’hésitais, mais à présent plus ! Ne me faites pas d’observations ! Je sais d’avance tout ce que vous pouvez dire…

— Non, ce que je dirai n’est pas ce que vous pensez. Je suis fort étonné de votre extraordinaire assurance…

— Comment ? Quelle assurance ?

— L’assurance où vous êtes que Nastasia Philippovna ne peut manquer de vous épouser et que c’est déjà une affaire finie ; ensuite, à supposer même qu’elle vous épouse, je m’étonne que vous soyez si sûr de palper les soixante-quinze mille roubles. Du reste, il y a sans doute ici bien des choses que j’ignore.

Gania se rapprocha, par un brusque mouvement, de son interlocuteur.

— Assurément vous ne savez pas tout, dit-il, — et pourquoi donc, sans cela, me résignerais-je à tous ces ennuis ?

— Il me semble que de tels cas se produisent très-fréquemment : on se marie par intérêt, et l’argent reste entre les mains de la femme.

— N-non ; dans l’espèce, il n’en sera pas ainsi… Ici… ici il y a des circonstances… murmura Gania, devenu pensif et inquiet. — Mais, pour ce qui est de sa réponse, elle ne peut faire l’objet d’aucun doute, se hâta-t-il d’ajouter. — D’où concluez-vous qu’elle me refusera sa main ?

— Je ne sais rien, sinon ce que j’ai vu ; vous avez entendu aussi Barbara Ardalionovna dire tout à l’heure…

— Eh ! ses paroles n’ont pas d’importance, elle ne sait que dire. Mais, quant à Rogojine, Nastasia Philippovna s’est moquée de lui, soyez-en sûr, je m’en suis bien aperçu. Cela était évident. Tantôt j’ai eu un peu peur, mais à présent je vois ce qui en est. Peut-être aussi m’objecterez-vous sa manière d’être avec ma mère, avec mon père et avec Varia ?